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Section 1. De l'Antiquité à la veille de la Première Guerre Mondiale: une succession d'unités spirituelles et politiques
La période qui s'étend de l'Antiquité à la veille de la Première Guerre Mondiale peut être divisée en deux. La première phase correspond la montée en puissance de l'Europe dont le point ultime serait la formation de l'Etat au XVIème siècle (§ 1). La seconde phase témoigne de la force politique que représente l'Europe et de sa domination sur le reste du monde. Mais cette domination repose sur des fondements fragiles car principalement constitués par des rapports de force entre les pays concernés (§ 2).
§ 1. L'Europe, lieu de lutte entre domination spirituelle et politique
L'Europe de l'Antiquité est difficile à identifier. Divisée en Cités et en Empire elle est cependant durablement marquée par son héritage gréco-romain et plus tard, par l'unité chrétienne qui se développe en son sein (A). Mais l'Europe est avant le terreau sur lequel va émerger une nouvelle forme d'organisation politique et c'est elle qui va véritablement conduire à faire de l'Europe une puissance incontestable : l'Etat (B).
A. De l'Antiquité au XVIème siècle : une Europe marquée par l'héritage gréco-romain et chrétien
L'Antiquité, période qui s'étend du troisième millénaire avant Jésus Christ à la chute de l'Empire romain d'Occident en 476 après Jésus Christ, fut profondément marquée par la civilisation gréco-romaine, même si celle-ci ne fut pas la seule civilisation à apparaître durant cette période. En effet, les civilisations chinoise, notamment grâce à Confucius et les Empires d'Egypte et de Babylone eurent une influence toute aussi considérable sur cette société internationale en formation, principalement grâce aux courants commerciaux qui s'établirent entre ces différentes entités.
En Europe, deux civilisations s'opposent, celle des grecs, fondée sur les relations pacifiques ou guerrières entre les différentes Cités et celle des romains liés à leur Empire, toutes deux fortement marquée par son caractère impérialiste. L'unité, durant cette période s'est donc faite au sein de chaque civilisation, marquée par son propre mode de fonctionnement, et non entre ces civilisations elles-mêmes. Le recul de l'autarcie et le développement de contacts avec l'extérieur se fera pour des raisons économiques. Mais les raisons politiques, liées à une volonté d'expansion territoriale et non à une idée de relations pacifiques, prendront progressivement le pas et conduiront Rome à sa chute. Les invasions barbares que connut alors l'Europe mettront un point final à l'Antiquité et marqueront le début du Moyen-Age.
Aux Empires et aux Cités succèdent, au Moyen-Age, des structures féodales qui formeront autant d'entités autonomes sans lien réel entre elles. Des liens se développent malgré tout entre ces différentes entités grâce aux courants commerciaux qui s'établissent entre elles grâce à l'action de la Ligue Hanséatique, association de marchands qui contrôle les échanges en mer Baltique et en mer du Nord. Ces liens commerciaux ne sont cependant pas les seuls qui vont permettre d'établir une certaine unité entre les différentes monarchies, l'autre élément fédérateur est l'appartenance des monarchies à la communauté chrétienne. A cette époque, le facteur principal d'unité est donc spirituel. Mais à cette unité spirituelle va se heurter une volonté d'unification politique qui va se traduire par l'émergence d'une opposition entre le Pape et le Saint-Empire romain germanique. Empereurs et Papes entrent en lutte pour une domination universelle. Cette lutte s'achèvera définitivement avec l'atténuation progressive de l'influence de l'un comme de l'autre sur les monarques. Le lien spirituel est définitivement brisé par la réforme et l'Empereur ne peut plus imposer son pouvoir aux monarques. Une nouvelle période commence alors qui verra apparaître la notion centrale d'Etat, nouvel élément autour duquel va se constituer l'unité de l'Europe.
B. L'apparition de l'Etat et le nouvel ordre européen
C'est Jean Bodin, économiste et écrivain français qui est à l'origine du concept d' "Etat" dont la caractéristique principale est la "souveraineté". L'apparition de ce concept n'est pas le fruit de réflexions purement théorique. Son objectif est de lutter contre les menaces qui pèsent sur le pouvoir du roi. En effet, il s'agit pour le roi d'affermir son pouvoir face aux seigneurs locaux et face aux volontés d'expansions territoriales des autres monarques ou du Pape. La souveraineté, pouvoir absolu d'action qui n'a d'autre limite que la souveraineté des autres Etats, se définit donc par un aspect externe et interne.
Les XVème et XVIème siècle verront la formation des Etats européens, à l'exception des anciens territoires soumis à l'autorité du Saint-Empire dont l'unification fut très longue à réaliser puisque ce n'est qu'en 1870 qu'apparaîtront l'Allemagne et l'Italie.
Mise à mal par les incessantes luttes de pouvoir entre les différents souverains, l'Europe a du mal à trouver une unité. Celle-ci fut néanmoins réalisée par les traités de Westpahlie de 1648 qui mirent un terme à la guerre de Trente Ans, guerre mêlant des questions de religion et de succession, qui engagea la plupart des Etats européen et marqua l'éclatement de l'Allemagne en quelques trois cent cinquante entités. Les traités de Westphalie, signés à Münster pour les délégations catholiques et à Osnabrück pour les délégations protestantes marquèrent le passage aux Temps modernes. Ces deux traités marquent définitivement la fin des tentatives d'hégémonies du Saint-Empire romain germanique et la naissance de l'Europe actuelle, c'est-à-dire une Europe composée d'Etats souverains indépendants et égaux.
Pour toutes ces raisons, on considère que les traités de Westphalie constitue, un "nouvel ordre européen". Mais pour indépendants et égaux qu'aient été reconnus les Etat européens, ils n'en restent pas moins soumis à la volonté de domination qui caractérise les monarques absolus de l'époque. L'équilibre européen est donc fragile et repose sur les rapports de forces qui peuvent s'établir entre les souverains européens. Ces rapports de forces et la façon dont ils se sont organisés ont donné naissance à une nouvelle politique en Europe : la politique de l'équilibre.
§ 2. L'Europe et la politique de l'équilibre : l'unité par la force
Les nouveaux Etats européens avaient au XVIème siècle le choix d'établir une unité reposant soit sur un projet pacifique, l'organisation internationale, soit sur un projet reposant sur un équilibre entre les différentes forces en présence. Fraîchement établis dans leur souveraineté, les Etats européens optèrent pour la première solution conduisant à l'échec des premiers projets d'organisation internationale (A) et à la mise en place de la politique dite de l'équilibre (B).
A. L'échec des premiers projets d'organisation internationale
Le concept de souveraineté, s'il a permis à chacun des Etats européens de construire une véritable unité, n'a pas pour autant donné naissance à une unité de fait entre les Etats européens. En effet, tous les monarques à la tête de ces nouveaux Etats entendent bien appliquer le concept de "souveraineté" dans son ensemble, et en premier lieu dans ce qu'il a d'absolu, voire d'excessif. La souveraineté exclut la soumission d'un Etat à un pouvoir supérieur quel qu'il soit, le roi est maître en son royaume et à l'extérieur de celui-ci, pour autant qu'il n'empiète pas sur la souveraineté d'autrui. On voit dès lors les dangers liés à un tel concept et l'impossibilité d'établir une unité entre les Etats européens par la création d'un projet commun. Pourtant, aux XVIème et au XVIIème siècle, des projets d'organisation internationale existent bel et bien. Ainsi Maximilien de Béthune, baron de Rosny et duc de Sully, ministre d'Henry IV eut-il l'idée d'un tel projet. Mais la constitution d'une organisation internationale implique forcément la limitation de la souveraineté de l'Etat. Or, tout Etat fraîchement constitué, et ceci est vrai encore de nos jours, est très jaloux de sa souveraineté. Dès lors, l'organisation internationale n'est pas l'élément qui va conduire à la création d'une unité au sein des nouveaux Etats européens et c'est au contraire une politique fondée sur des alliances militaires qui va permettre cette unité.
B. Le choix d'une politique fondée sur l'équilibre des forces
Le refus des Etats d'abdiquer une partie, aussi infime soit-elle de leur souveraineté n'est pas la seule raison qui empêche à cette époque la constitution d'une organisation internationale fondée sur des rapports entre Etats égaux et indépendants. En effet, même si l'égalité entre les différents Etats est une des conséquences de la reconnaissance "officielle" de l'Etat par les traités de Westphalie, ces mêmes traités imposent la domination française sur le reste de l'Europe. Ainsi, dès les premiers instants de son apparition, le concept d'égalité entre les Etats est battu en brèche. La raison majeure de cette situation vient de la reconnaissance de l'existence d'une différence fondamentale entre les Etats qui tient à leur puissance. Malgré une égalité théorique affirmée, il est indéniable que certains Etats sont plus puissants que d'autres.
C'est sur le fondement de ce constat que va s'établir la politique de l'équilibre qui va reposer sur un subtil rapport de forces qui va s'établir entre les Etats, les plus forts devant empêcher que les plus faibles ne se retrouvent dominés. Présentée ainsi cette politique paraît louable. Mais la réalité est beaucoup plus prosaïque. En effet, un Etat fort qui protège un Etat faible ne recherche en réalité que son propre intérêt car un autre Etat fort lié, de gré ou de force, avec un Etat faible se retrouve de fait plus puissant que l'autre Etat fort. La politique de l'équilibre, si elle permet ainsi de conserver l'indépendance des Etats n'est cependant en aucun cas gage ni d'égalité entre eux ni de paix. En effet, toute rupture ou menace de rupture de l'équilibre ainsi établi conduira au déclenchement d'une guerre.
L'histoire des relations interétatiques entre le XVIème et le XXème siècle sera avant tout celle d'un rapport de force entre les différentes puissances européennes. Celles-ci vont progressivement étendre leur influence à l'extérieur du continent européen et les politiques de colonisation vont se mettre en place. L'unité de l'Europe durant cette période repose donc de manière déterminante sur un rapport de force constant, sur une compétition incessante entre les différentes forces politiques en présence.
Une première puis une deuxième Guerre Mondiale et l'équilibre est définitivement rompu. L'Europe est dévastée, ruinée et consciente que son unité doit se faire par un autre moyen que par la force, celui-là même que proposait Sully : l'organisation internationale.
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