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Section 2. 1945 : Une Europe divisée et affaiblie en quête d'une unité durable
En 1945 l'Europe n'est plus seule. Elle a dû s'appuyer sur les Etats-Unis d'Amérique pour venir à bout d'un conflit terrible et elle se retrouve écartelée entre ce nouvel appui et son alliée d'hier : la Russie maintenant URSS. En 1945, l'Europe doit choisir son camp. Celui de l'Est ou celui de l'Ouest et c'est précisément l'objectif du plan Marshall qui est proposé à l'Europe en 1947. L'éclatement de l'Europe paraît inévitable. Et pourtant, dès la fin de la guerre des voix s'élèvent pour défendre l'unité de l'Europe, sa reconstruction autour d'un projet commun, pacifique cette fois. 1945 marque la naissance des premières organisations internationales européennes et c'est le 19 septembre 1946 que Winston Churchill plaide pour la création d'une "sorte d'Etats-Unis d'Europe", reprenant une idée déjà lancée par l'écrivain français Victor Hugo en 1849 et le comte Coudenhove-Kalergi en 1923. L'Europe connaît alors une multiplication et une évolution des formes de coopération entre certains des Etats qui la composent (§ 1), évolution qui va conduire à l'apparition d'une unité économique mais qui se veut un prélude à un projet beaucoup plus ambitieux : une union politique de l'Europe (§ 2).
§ 1. La multiplication et l'évolution des formes de coopération en Europe
A partir de 1944, l'Europe vit se multiplier en son sein les organisation de coopération dont l'objectif était de réunir dans des instances internationales des pays européens, et parfois également des pays situés hors du continent afin d'œuvrer ensemble à la réalisation de buts communs. Les domaines concernés étaient très divers : économiques, militaires et politiques (A). Mais parmi toutes ces formes de coopération, certaines se distinguent par leur volonté d'aller plus loin, d'instaurer entre les membres une solidarité encore plus poussée, ces organisations nouvellement apparues veulent substituer l' "intégration" à la "coopération" (B).
A. Les coopérations économiques, militaires et politiques
La toute première forme de coopération économique à se mettre en place en Europe date de 1944, il s'agit du Benelux, organisation qui rassemble la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg afin de créer entre eux une Union douanière.
Une seconde coopération économique, beaucoup plus vaste celle-ci va rassembler les seize Etats ayant accepté le Plan Marshall proposé par les américains afin d'éviter que les pays concernés, ruinés par la guerre, ne cèdent aux sirènes des pays soviétiques. La création de l'Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE) avait pour objectif de permettre aux Etats bénéficiaires de disposer d'une enceinte dans laquelle ils pouvaient coordonner la mise en place du Plan. L'OECE, devenue en 1960, l'OCDE (l'Organisation de Coopération et de Développement Economique) existe toujours et rassemble aujourd'hui tous les pays industrialisés à économie de marché qui souhaitent y adhérer, qu'ils soient européens ou non. En réaction, les pays d'Europe centrale et orientale mirent en place le Conseil d'aide économique mutuelle (COMECON) en janvier 1949. Cette organisation commença à fonctionner en 1959.
C'est une coopération dans le domaine militaire qui fut chronologiquement la première à se mettre en place, l'Union Européenne Occidentale (UEO) qui fut créée par un traité signé en mars 1948 entre la France, le Royaume-Uni et le Benelux. Cette première alliance militaire sera suivie d'une seconde mais qui dépassera largement le cadre européen, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord en 1949.
Enfin, la coopération politique a été réalisée dans le cadre du Conseil de l'Europe créé en 1949. Cette organisation a alors vocation à rassembler les pays européens défenseurs d'un régime politique démocratique et des droits de l'homme. Le Conseil adoptera ainsi dès 1950 la célèbre Convention Européenne des droits de l'homme. Aujourd'hui, le Conseil de l'Europe reste une organisation de coopération politique déterminante.
Toutes ces organisations, si elles constituent un grand progrès par rapport à la situation antérieure car elle témoignent de la volonté des Etats membres d'établir des projets communs ne vont pas assez loin pour certains Etats qui souhaitent mettrent en place des organisations plus poussées, c'est-à-dire qui se rapprocheraient d'une vision fédérale. Un nouveau concept va alors apparaître car face aux organisation de coopération dans lesquelles les Etats ne concèdent qu'une limitation restreinte de leur souveraineté, ce sont les organisations dites d'intégration qui se caractérisent principalement par l'existence en leur sein d'organes chargés de prendre des décisions qui s'imposeront aux Etats membres.
B. Les coopérations à vocation fédérale
La Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier est un modèle du genre. Cette organisation née de la volonté d'un homme, Jean Monnet qui souhaitait créer un marché commun permettant de contrôler la production de deux matières essentielles à tout conflit armé : le charbon et l'acier, matières qui symbolisaient d'autant plus la volonté de paix qu'elles devaient réunir au sein d'une même organisation, la France et l'Allemagne. Mais pour que cette union soit véritablement efficace, c'est-à-dire qu'elle ne soit pas dépendante des volontés fluctuantes de ses Membres, Jean Monnet avait imaginé un modèle jusqu'alors inédit, le modèle dit d'intégration ou supranational. D'après ce modèle, bien que les Etats fussent toujours à l'origine de la création de l'organisation, celle-ci, une fois mise en place, devait largement voler de ses propres ailes, les Etats membres se retrouvant alors soumis aux décisions adoptées, non pas par eux, mais par les organes mêmes de l'organisation. Au départ limité aux secteurs mentionnés, cette organisation avait vocation à s'étendre à d'autres domaines économiques mais aussi politiques.
Ce fut Robert Schumann, alors ministre des affaires étrangères français qui repris cette proposition et qui contribua à la transformer en réalité et c'est le traité de Paris signé le 18 avril 1951 par la France, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg qui créa la C.E.C.A.
Le domaine militaire était également concerné par cette nouvelle forme d'union entre Etats et la Communauté européenne de Défense (CED) devait permettre la création d'une armée intégrée. Mais le traité signé le 27 mai 1952 ne fut jamais ratifié par la France qui en avait pourtant été le principal instigateur. Cet échec fut un coup violent porté à la toute nouvelle intégration économique issue de la C.E.C.A. car elle devait montrer les difficultés parfois insurmontables liées à la volonté d'intégration politique.
En effet, le dessein poursuivi par les initiateurs de la C.E.C.A. était dès le départ de construire une nouvelle unité européenne mais cette fois-ci sur des bases pacifiques, fondées sur des relations économiques et politiques entre les Etats. Cette nouvelle unité devait donc être à construire de toutes pièces avec sans arrêt en arrière-plan l'idée qu'il s'agit avant tout d'un moyen d'assurer stabilité et paix au continent. Mais les Etats européens formés depuis quatre siècles ont pris l'habitude de décider seuls de leurs choix économiques mais surtout politiques. La construction européenne devait dès lors être marquée par cette hésitation constante des Etats à passer véritablement d'une union économique à une union politique.
§ 2. Une unité économique comme préalable à une unité politique
Le renforcement de l'idée d'une unité économique entre les pays d'Europe devait passer dans un premier temps par l'élargissement du domaine d'action de la C.E.C.A. Ceci fut fait par la création de deux nouvelles communautés européennes en 1957 (A). Mais dans l'esprit des hommes qui furent à l'initiative de tout le processus de la construction européenne, il était clair que l'unité économique devait elle-même conduire à un processus beaucoup plus vaste qui devait conduire les Membres des Communautés à mettre en place une unité politique. Or, bien que les prémisses de cette unité existent, beaucoup de choses restent encore à faire (B).
A. La création des Communautés européennes
L'échec du projet de création de la CED avait provoqué une crise au sein des pays européens car elle avait révélé les nombreuses réticences face à l'évolution d'une union européenne vers une union politique. C'est donc une véritable "relance" à laquelle les ministres des Affaires étrangères des six pays fondateurs de la première communauté européenne durent procéder à Messine en 1955. A la suite de cette conférence, Paul-Henri Spaak, homme politique belge, est chargé de préparer un rapport avec un comité d'experts. Ce rapport conduisit à la rédaction de deux traités instituant deux nouvelles communautés : la Communauté Economique Européenne (C.E.E.) et la Communauté Européenne de l'Energie Atomique (C.E.E.A., dite "Euratom"). Les deux traités créant ces deux nouvelles organisations furent signés à Rome le 25 mars 1957 et entrèrent en vigueur le 1er janvier 1958.
La création de ces communautés européennes marque un net recul dans le processus d'intégration voulu par les rédacteurs du traité C.E.C.A. Aujourd'hui encore, le mécanisme issu du traité C.E.C.A. est le plus intégré qui soit et sa disparition témoigne d'un certain échec de l'idée d'intégration telle qu'elle était perçue par les pères fondateurs de la construction européenne. Malgré ce recul, la C.E.E. et la C.E.E.A. restent bien des organisations d'intégration et ont pour objectif de créer un marché commun limité non plus seulement au charbon et à l'acier mais à tout le domaine économique et nucléaire. Le traité C.E.E. crée une union douanière, c'est-à-dire une union fondée sur la suppression des obstacles aux échanges commerciaux, sur la détermination d'un tarif douanier commun applicable aux frontières extérieures des pays Membres et sur la définition d'une politique commerciale commune.
De 1958 au début des années 1970, l'idée d'une construction politique de l'Europe va devoir faire face à un opposant déterminé en la personne du Général de Gaulle. Le Général, fondamentalement attaché à la conception supranationale va systématiquement s'opposer à toute tentative d'évolution vers une union politique qu'il juge néfaste pour la France dont il entend bien préserver l'indépendance politique et le retrait de celle-ci de la partie militaire de l'OTAN en 1966 en témoigne. Ce n'est donc qu'à la fin des années soixante avec la démission du Général de Gaulle et l'arrivée au pouvoir du président Pompidou ainsi que l'appui du Chancelier allemand Brandt que l'idée d'une construction politique de l'Europe est à nouveau centrale. Elle se cristallisera dans l'idée d' "Union européenne".
B. L'évolution vers une Union européenne
La première étape vers une union qui dépasse le strict cadre économique est réalisée en 1971 la mise en place des premiers éléments devant conduire à la création d'une Union économique et monétaire. Mais à peine ébauchée, cette union monétaire devait faire face à la crise économique qui secoua les pays occidentaux au début des années 1970. Pourtant, derrière cette première tentative c'est une véritable réflexion de fond sur l'avenir de l'union politique de l'Europe qui est menée et en 1972, à l'issue du Sommet de Paris les Etats présents annoncent leur volonté de créer une "Union européenne".
C'est le premier ministre belge, Léo Tindemans qui fut chargé de rédiger un rapport définissant ce concept d' "Union européenne". L'échec de ce rapport fut également celui de la première mention de l'idée de l'instauration d'un "Union européenne". Mais il était apparu que la construction communautaire ne pouvait plus faire l'économie d'une réflexion de fond sur les implications politiques de l'intégration économique, les deux domaines devant forcément, à un moment ou à un autre, se rejoindre. Ce fut le Parlement européen lui-même qui prit l'initiative sous l'impulsion d'Altiero Spinelli, homme politique italien et membre du Parlement européen, de rédiger un nouveau projet de traité mettant en place une "Union européenne" puis d'autres projets virent le jour et le Conseil européen réuni à Stuttgart adopta en 1983 une Déclaration solennelle sur l'Union européenne. Tous les différents projets et les réflexions qu'ils suscitèrent conduisirent à la réunion d'une Conférence intergouvernementale et à l'adoption d'un traité appelé "Acte unique européen", entré en vigueur en 1987, qui révise à la fois les traités existants et affirme pour la première fois la volonté des Etats Membres de transformer les relations entre eux en Union européenne. Concrètement, cette affirmation se traduit par la mention dans l'Acte unique de la volonté des Etats signataires de mettre en œuvre une politique étrangère européenne avec la détermination de politiques communes. Mais tous les aspects politiques inclus aux traités communautaires reposaient exclusivement sur des mécanismes de coopération, les Etats n'ayant accepté l'extension du domaine d'application des traités seulement à ce prix. Ainsi, suivant le domaine dans lequel on se trouve, c'est tantôt sur un mode d'intégration et tantôt sur un mode de coopération que les institutions communautaires vont fonctionner. Les premiers jalons posés par l'Acte unique européen furent consacrés par l'adoption du traité sur l'Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992.
L'objectif suivant, maintenant qu'était véritablement acceptée l'idée d'un élargissement du domaine d'action des institutions communautaires à des questions politiques, était de les faire passer progressivement de la coopération à l'intégration mais également d'inclure dans le champ d'action communautaire de nouveaux domaines politiques. L'idée générale qu'il faut retenir, et qui sera reprise par le traité d'Amsterdam signé les 16 et 17 juin 1997 est la suivante. Le processus d'intégration s'applique aujourd'hui exclusivement à ce qui est désormais le premier pilier de l'Union européenne, à savoir les Communautés européennes. Les deux autres piliers de l'Union sont formés par des domaines politiques : la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (la PESC) et la Coopération policière et judiciaire en matière pénale. Ces deux derniers piliers sont marqués par la coopération et non l'intégration même si le but ultime est, à terme, d'obtenir une organisation totalement intégrée. On peut cependant établir des degrés de coopération entre le second et le troisième pilier, le dernier faisant la part la plus importante à la coopération.
Intégration, coopération, l'Europe hésite et les hésitations qui sont apparues dès les premiers instants existent toujours. L'Europe n'est pas unie politiquement et cette désunion se traduit clairement dans le fonctionnement de l'Union Européenne qui n'est d'ailleurs pas encore reconnue comme une organisation internationale à part entière. Bref, l'Union européenne est en quête de son identité.
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