|
Section 1. La primauté accordée à l'ensemble du droit communautaire
La primauté du droit communautaire est particulièrement importante ici car ce sont les Etats qui sont chargés en premier lieu d'appliquer les décisions qui auront été prises au niveau communautaires. Il existe ainsi une profonde interaction entre les ordres juridiques communautaires et nationaux (§ 1). La question qui se pose alors est de savoir si tout le droit communautaire est revêtu de cette caractéristique, c'est ce que nous verrons en étudiant l'étendue de la notion de primauté accordée au droit communautaire (§ 2).
§ 1. L'interaction entre les ordres juridiques communautaires et nationaux
Cette interaction entre les deux ordres juridiques vient du fait que les Etats membres jouent un rôle fondamental dans l'application du droit communautaire (A). Pour éviter que ces mêmes Etats ne remettent en question la construction communautaire par l'adoption de normes nationales contraires au droit communautaire, la Cour de Justice a d'abord dû établir l'autonomie du droit communautaire (B).
A. Le rôle fondamental des Etats membres dans l'application du droit communautaire
En raison des buts particulièrement précis qui sont poursuivis dans le cadre de la construction communautaire, les institutions communautaires ont besoin de l'appui des organes nationaux. Pour qu'une mesure adoptée au niveau communautaire atteigne l'objectif qu'elle poursuit elle va devoir être appliquée par les organes des Etats membres.
L'article 10 du traité C.E. précise ainsi que
Les États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l’accomplissement de sa mission.
Ils s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité
Cette idée est fondamentale car elle permet de se rendre compte que les institutions les plus importantes au sein de l'ordre juridique communautaire ne sont pas les institutions communautaires à proprement parler mais bien les institutions étatiques. Or l'Etat est fondamentalement ambigu : il ne consentira à limiter sa souveraineté que s'il est conscient des intérêts immédiats qu'une telle limitation peut lui apporter mais à la moindre menace qui pèsera sur ses intérêts nationaux, il brandira sa souveraineté pour tenter de se libérer de ses obligations internationales. Dans le cadre communautaire, l'Etat n'est pas différent. Comment faire dès lors pour faire en sorte que les institutions nationales se retrouvent dans l'obligation d'appliquer le droit communautaire même lorsqu'il s'agit de mesures auxquelles elles sont opposées ? C'est la Cour de Justice qui a permis de répondre à cette question en affirmant le principe de la primauté du droit communautaire. Mais pour parvenir à cette conclusion, la Cour a d'abord dû souligner le caractère autonome du droit communautaire face au droit national. Paradoxalement, cette affirmation de l'autonomie du droit communautaire conduit à mettre en évidence la perte d'autonomie d'une partie du droit national qui est désormais soumis au droit communautaire.
B. L'autonomie de l'ordre juridique communautaire
En droit international, pour que les dispositions contenues dans un traité s'appliquent dans le droit interne de l'Etat qui a adhéré au traité, il faut que ces dispositions aient fait l'objet d'une mesure de réception en droit interne. Le droit international est considéré comme étant transformé en droit interne.
En droit communautaire, la situation est différente car, comme l'a dit la Cour de Justice dans son arrêt du 15 juillet 1964 dans l'affaire Costa c. Enel
A la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la C.E.E. a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des Etats membres lors de l'entrée en vigueur du traité et qui s'impose à leurs juridictions ;
qu'en effet, en instituant une Communauté de durée illimitée, dotée d'institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d'une capacité de représentation internationale et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d'une limitation de compétence ou d'un transfert d'attributions des Etats à la Communauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leur ressortissants et à eux-mêmes ;
Attendu que cette intégration au droit de chaque pays membre de dispositions qui proviennent de source communautaire, et plus généralement les termes et l'esprit du traité, ont pour corollaire l'impossibilité pour les Etats de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure qui ne saurait ainsi lui être opposable ;
que la force exécutive du droit communautaire ne saurait, en effet, varier d'un Etat à l'autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la réalisation des buts du traité visés à l'article 5 ni provoquer une discrimination interdite par l'article 7.
De nombreux auteurs ont qualifié cette décision comme celle qui consacrait l'autonomie de l'ordre juridique communautaire. Cette autonomie signifie qu'un Etat membre ne peut décider à lui seul de remettre en cause l'ensemble de la construction communautaire en décidant d'adopter une mesure contraire au droit communautaire. Ainsi, l'autonomie de l'ordre juridique communautaire va forcément entraîner la suprématie - la primauté - du droit communautaire sur celui des Etats membres. C'est là le seul moyen pour assurer une application de ce droit à tous les Etats membres.
§ 2. L'étendue de la notion de primauté du droit communautaire
Affirmer la notion de primauté du droit communautaire ne suffit pas, encore faut-il savoir précisément à quels actes elle s'applique. La jurisprudence de la Cour de Justice a permis de préciser cette étendue et il apparaît que c'est à la fois l'ensemble du droit communautaire qui prime sur le droit national (A) et que c'est l'ensemble du droit national qui doit céder face à une norme de droit communautaire contraire (B).
A. La primauté de l'ensemble du droit communautaire sur le droit national
Dans l'arrêt précité, Costa c. Enel, la Cour de Justice avait appliqué la primauté aux dispositions contenues dans les traités communautaires, et en particulier aux dispositions contenues dans le traité C.E.E. Il restait alors à savoir si les seuls les traités étaient revêtus de cette caractéristique ou si tous les actes communautaires étaient concernés.
Le principe de primauté a d'abord été étendu aux règlements communautaires. Ainsi, la Cour a affirmé la supériorité du règlement sur toute mesure nationale contraire dans l'affaire C.J.C.E., 17 décembre 1979, Internationale Handelgesellschaft, aff. 11/70. Puis la Cour a affirmé dans un arrêt C.J.C.E., 7 juillet 1981, Rewe-Handelsgesellxhaft Nord, aff. 158/80 que
La directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens (…) l'effet contraignant de la directive implique qu'une autorité nationale ne peut opposer à un particulier une disposition législative ou administrative nationale qui ne serait pas conforme à une disposition de la directive qui aurait toutes les caractéristiques nécessaires pour pouvoir être appliquée par le juge. (…) un justiciable ne peut se voir opposer par une autorité nationale des dispositions législatives ou administratives qui ne seraient pas conformes à une obligation inconditionnelle et suffisamment précise de la directive.
Le principe de la primauté du droit communautaire implique également que les autorités nationales quelles qu'elles soient doivent interpréter le droit national à la lumière du droit communautaire, de telle sorte que les deux soient compatibles. Enfin, la Cour de Justice a estimé que même les recommandations, qui ne sont pas des actes juridiques obligatoires, doivent être prises en considération par le juge national lorsqu'elles permettent à celui-ci d'interpréter une disposition nationale lorsque celle-ci a pour but de mettre en œuvre la recommandation.
C'est donc l'ensemble du droit communautaire qui est considéré comme supérieur au droit national. Mais qu'en est-il du droit national ? Est-ce que toutes ses normes, y compris constitutionnelles doivent être écartées lorsqu'elles sont contraires au droit communautaire ? La Cour a répondu par l'affirmative à cette question.
B. La mise à l'écart de toute norme nationale contraire au droit communautaire
La prééminence du droit communautaire sur toutes les dispositions nationales contraires, y compris constitutionnelles n'est pas acceptée par l'ensemble des juridictions des Etats membres et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande et des juridictions administratives françaises sont très réticentes à appliquer une telle solution.
En Allemagne cette question a fait l'objet d'un débat juridique qui a dépassé les frontières du pays et qui a conduit à une réflexion d'ensemble sur la question de la protection des droits fondamentaux accordés aux citoyens. La Cour constitutionnelle allemande a affirmé dans un arrêt rendu le 29 mai 1974, Internationale Handelsgesellschaft dit "So lange I" que puisque la protection des droits fondamentaux, qui est assurée par la Loi fondamentale allemande n'est pas assurée de façon satisfaisante dans l'ordre juridique communautaire qui ne contient pas de disposition spécifique sur ce point et qui en peut adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme qui n'est ouverte qu'aux Etats, alors, tout juge allemand qui estimerait une mesure communautaire contraire aux droits contenus dans la Loi fondamentale devrait saisir la Cour pour que celle-ci écarte la norme de droit communautaire concernée.
C'est principalement à la suite de cette décision qu'une réflexion de fond à propos des droits fondamentaux accordés aux citoyens des Etats membres des Communautés, puis de l'Union a été menée. La Cour de Justice des Communautés elle-même a développé une jurisprudence très riche sur ce sujet en reconnaissant la protection de nombreux droits qu'elle a déduit des traités, faute de pouvoir appliquer la CEDH. En 1986, la Cour constitutionnelle allemande a alors rendu un arrêt "So lange II" dans lequel elle s'est déclarée satisfaite des progrès accomplis par le droit communautaire en matière de protection des libertés fondamentales. Mais la Cour a cependant précisé dans le même arrêt qu'elle se réserve le droit de faire prévaloir les dispositions constitutionnelles nationales sur les normes internationales, y compris communautaires qui mettraient ces dispositions en péril.
La Cour constitutionnelle a ainsi adressé une mise en garde aux institutions communautaires, mise en garde qui est probablement partagée par l'ensemble des pays membres.
La primauté du droit communautaire n'est pas le seul moyen utilisé pour permettre une application uniforme du droit communautaire. Un second moyen, appelé l' "effet direct" l'est également mais à la différence du premier, il ne concerne pas tous les actes communautaires.
INDEX <<< >>>
|