Nous verrons d'abord quelles sont les normes communautaires qui bénéficient de cet effet direct (§ 1) avant de nous pencher sur les conséquences de la reconnaissance d'un effet direct à certaines normes communautaires (§ 2).
§ 1. Les normes communautaires revêtues de l'effet direct
Il existe deux catégories de normes de droit communautaire revêtues de l'effet direct : celles qui se sont vu conférer l'effet direct par les traités communautaires (A) et celles auxquelles c'est la Cour de Justice qui a reconnu cet effet (B).
A. Les normes reconnues d'effet direct par les traités de base
C'est l'article 249 du traité C.E. qui reconnaît un tel effet à deux des quatre catégories d'actes qu'il mentionne. Cet article prévoit que
Pour l'accomplissement de leur mission et dans les conditions prévues au présent traité, le Parlement européen conjointement avec le Conseil, le Conseil et la Commission arrêtent des règlements et des directives, prennent des décisions et formulent des recommandations ou des avis.
Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout Etat membre.
La directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.
La décision est obligatoire dans touts ses éléments pour les destinataires qu'elle désigne.
Les recommandations et les avis ne lient pas.
S'il est clair que l'article précité reconnaît un effet direct au règlement, la formulation de l'effet exact de la décision laisse cependant planer un doute. Ce doute a été dissipé par la Cour de Justice dans un arrêt C.J.C.E., 10 novembre 1992, Hansa Fleisch Ernst Mundt, aff. C-156/91 dans lequel elle affirme qu'il serait
incompatible avec l'effet contraignant que l'article 189 du traité reconnaît à la décision d'exclure en principe que l'obligation qu'elle prévoit puisse être invoquée par les personnes concernées
Derrière cette formulation, il faut comprendre que la décision est en principe d'effet direct mais que cet effet peut être écarté dans certaines hypothèses, ce qui n'est pas le cas pour le règlement.
Une lecture stricte des traités ne conduit donc pas en elle-même à déduire l'existence d'un véritable principe d'effet direct de normes communautaire et cet effet n'est vraiment clairement reconnu qu'au règlement. On pouvait donc se demander s'il s'agissait d'une particularité liée à ce type d'acte ou bien s'il s'agissait d'un principe revêtant une portée plus large. C'est encore une fois la Cour de Justice qui a précisé la portée de ce principe.
B. Les normes reconnues d'effet direct par la jurisprudence
L'arrêt de principe sur ce point a été rendu par la Cour dans l'affaire Van Gend en Loos le 5 février 1963. Dans cette affaire la Cour a dit que
Le droit communautaire indépendant de la législation des Etats membres, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique ; que ceux-ci naissent non seulement lorsqu'une attribution explicite en est faite par le traité mais aussi en raison d'obligations que le traité impose d'une manière bien définie tant aux particuliers qu'aux Etats membres et aux institutions communautaires
En application de cette jurisprudence la Cour a d'abord reconnu l'effet direct à certaines dispositions des traités communautaires. La jurisprudence de la Cour a connu de nombreuses évolutions quant aux critères applicables pour reconnaître qu'une disposition d'un traité communautaire est ou non d'effet direct. En l'état actuel du droit, il semble que les seules conditions requises soient que la disposition concernée ait un caractère inconditionnel et précis. Mais il n'en reste pas moins qu'aucune certitude n'est possible et que c'est une reconnaissance au cas par cas par la Cour qui s'applique.
Les dispositions des traités ne sont pas les seules à pouvoir être revêtues de l'effet direct grâce à la jurisprudence de la Cour, c'est également le cas pour les directives. Dans cette hypothèse, la reconnaissance de l'effet direct paraît plus surprenante puisque l'objet même d'une directive est d'indiquer aux Etats un résultat à atteindre en laissant ces derniers libres des moyens de le faire. La reconnaissance de l'effet direct à certaines directives est en fait liée avant toute chose à la volonté de la Cour de sanctionner la mauvaise volonté des Etats souvent réticents à adopter les mesures de transposition des directives, retirant ainsi aux justiciables nationaux la possibilité de faire valoir des droits éventuellement contenus dans ces directives. Cependant, les conditions de reconnaissance d'un effet direct à certaines directives étant les mêmes que pour les dispositions des traités constitutifs, le nombre de directives pouvant entrer dans cette catégorie est assez restreint. Par ailleurs, on peut alors se demander dans quelle mesure une directive dont les dispositions ont un caractère "inconditionnel et précis" n'est pas en réalité un règlement… Cette jurisprudence est en fait intéressante surtout parce qu'elle permet de reconnaître l'effet direct non pas à l'ensemble d'une directive, ce qui, nous venons de le dire est peu compatible avec les caractéristiques de la directive, mais à certaines de ses dispositions.
§ 2. Les conséquences de la reconnaissance de l'effet direct des normes communautaires
La première conséquence concerne les justiciables : reconnaître l'effet direct à une norme de droit communautaire signifie que cette norme, une fois qu'elle est entrée en vigueur, c'est à dire qu'elle a été publiée au Journal Officiel des Communautés, est invocable devant n'importe quelle juridiction nationale (A). La seconde conséquence concerne l'ensemble des institutions nationales : une norme d'effet direct conduit immédiatement à rendre inapplicable une norme nationale contraire, voire même à l'empêcher d'exister (B).
A. La création de droits directement invocables par le justiciable
C'est dans l'arrêt Van Gend en Loos que la Cour a établi les raisons pour lesquelles certaines dispositions devaient être revêtues de l'effet direct. En effet, pour la Cour, cet effet n'est que le pendant de la création par le droit communautaire d'obligations à l'égard des particuliers : si le droit communautaire peut créer de telles obligations, il peut également créer des droits qui "entrent dans leur patrimoine juridique".
C'est surtout la jurisprudence développée par la Cour à propos de l'effet direct de certaines dispositions des directives qui a le plus mis en application cette idée. En effet, dans la plupart des cas, la Cour a utilisé le principe de l'effet direct pour éviter que les justiciables ne se retrouvent privés de la possibilité d'invoquer une disposition contenue dans une directive en raison de la mauvaise volonté de l'Etat dont le justiciable est le ressortissant.
Cette jurisprudence a ainsi permis à la Cour d'accorder aux justiciables nationaux la possibilité de contrôler si un Etat qui avait correctement transposé une directive.
La Cour a cependant souligné que le caractère restrictif de sa jurisprudence relative à la reconnaissance de l'effet direct à une directive et elle a ainsi souligné que
Ce n'est que dans des circonstances particulières, notamment dans le cas où un Etat membre aurait omis de prendre des mesures d'exécution requises, ou adopté des mesures non conformes à une directive, que la Cour a reconnu le droit pour les justiciables d'invoquer en justice une directive à l'encontre d'un Etat membre défaillant
Ainsi, comme elle a eu l'occasion de le préciser peu de temps après :
Dans tous les cas où une directive est correctement mise en œuvre, ses effets atteignent les particuliers par l'intermédiaire des mesures d'application prises par l'Etat membre concerné, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si la disposition en question rempli les conditions auxquelles serait subordonnée, dans le cas où la directive n'aurait pas été correctement exécutée, la possibilité pour les particuliers de l'invoquer devant une juridiction nationale
B. L'inapplicabilité de plein droit de la norme nationale contraire
La combinaison du principe de la primauté du droit communautaire et du principe de l'effet direct a des conséquences très importantes sur le droit nationale. Ainsi, la Cour a-t-elle affirmé dans un arrêt Simmenthal rendu le 9 mars 1978 que
en vertu du principe de la primauté du droit communautaire, les dispositions du traité et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des Etats membres, non seulement de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante, mais encore, - en tant que ces dispositions et actes font partie intégrante et avec rang de priorité, de l'ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des Etats membres – d'empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des normes communautaires.
La norme nationale contraire à une norme communautaire est donc inapplicable. Plus encore, si la norme communautaire est dotée de l'effet direct elle ne peut même pas exister.
Ainsi, donc, primauté et effet direct du droit communautaire ne sont que des moyens au service d'une fin plus grande : la survie même du système communautaire. Celui-ci repose dès le départ sur un pari : celui d'imposer des mesures à des Etats toujours jaloux de leur souveraineté. Ce sont pourtant les Etats eux-mêmes qui ont créé les institutions communautaires mais cette "créature" a fini par échapper en grande partie à leur contrôle. C'est probablement pour se convaincre du contraire que le législateur français persiste à violer sciemment certaines normes communautaires, notamment relatives aux périodes d'ouverture de la
chasse.